dimanche 25 novembre 2007

Rapport à l'Assemblée de François Viard



Comme il était de mon devoir d'accompagner le roi à l'Assemblée nationale, je disposai les troupes qui devaient protéger son passage. J'ordonnai aux Suisses de faire l'avant-garde ; un détachement du bataillon des Filles-Saint-Thomas se trouvant sur la route, je lui ordonnai de faire l'arrière-garde.
Nous marchâmes dans cet ordre jusqu'à environ cinquante pas de la terrasse sur laquelle l'affluence du peuple témoignait son juste mécontentement. Craignant qu'il n'opposât de la résistance au passage du roi, je lui dis : « Sire, le peuple me parait agité, et je crois qu'il serait prudent de le prendre par la voie de la douceur. »
M. Rœderer fut de mon avis. Alors le roi consentit à tout. Je donnai des ordres à la tête de colonne de faire halte; je m'avançai seul vers le peuple, mon sabre dans le fourreau, et lui dis : « Mes amis, l'Assemblée nationale a rendu un décret qui mande le roi dans son sein, et m'ordonne en même temps de protéger son passage. Je suis, comme vous, bon citoyen, et je sais respecter la terre de la liberté, sur laquelle vous êtes * et aucun soldat que je commande ne passera la première marche de ce perron. Je transmettrai le roi au bord du passage que vous allez lui faire, et dès ce moment, vous en serez vous- mêmes les gardiens. Si vous étiez capables d'oublier un moment le dépôt que je vais remettre en vos mains, songez que la nation entière aura le droit de vous en demander compte ; mais je parle à des hommes libres, cela suffit. »
Ces bons citoyens m'ouvrirent le passage, et je me rendis à l'Assemblée nationale, où je demandai des gendarmes et des gardes nationaux pour border la haie, ce qui me fut accordé. Je retournai vers le roi, et étant à dix pas du perron, je commandai halte.
Le peuple, déjà indigné contre les Suisses, redoublait ses murmures ; j'employai alors tout ce que la prudence exigeait pour l'apaiser ; je commandai : tête de colonne par file à droite et à gauche, et ils passèrent derrière ; le roi était pour lors à découvert, et les citoyens lui manifestèrent hautement leur mécontentement ; entre autres un qui voulut lui parler...
Je le pris par la main et le conduisis au roi. Il lui dit : « Sacredieu ! Donnez-moi la main, et f..., soyez sûr que vous tenez celle d'un honnête homme, et non d'un assassin. Malgré tous vos torts, je réponds de la sûreté de vos jours. Je vais vous conduire à l'Assemblée nationale ; mais pour votre femme, elle n'entrera pas... c'est une s.... g.... qui a fait le malheur des Français. »
Le roi lui serra la main et parut avoir de la confiance en lui.
Alors on s'approcha du perron; mais tout à coup les cris redoublèrent que l'épouse du roi n'entrerait pas à l'Assemblée. M. Rœderer, à son tour, quitta le roi pour s'approcher du perron , et dit au peuple : « De par la loi, peuple français, peuple libre, l'Assemblée nationale a rendu un décret par lequel elle appelle en son sein le roi, le prince royal, la reine, la fille du roi, la soeur du roi, toute la famille entière du roi ; et vous devez, aux termes de la loi et de la liberté, ne point vous opposer à son passage. » Au moment de cette promulgation, le silence renaît parmi le peuple, et aucun obstacle ne s'y est opposé.

* Le reste du jardin des Tuileries était qualifié de terre de Coblentz.

Rapport fait à l'Assemblée nationale par François Viard, capitaine de chasseurs

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