dimanche 25 novembre 2007

La journée du 10 août, par le marquis de Ferrières



Dans cette extrémité, Rœderer, ne voulant se compromettre ni avec les girondins ni avec les orléanistes , crut que le plus sûr moyen d'éviter les reproches et des uns et des autres , était de conduire le roi et la famille royale à l'Assemblée : c'était un otage , en cas que l'attaque du château tournât contre les Marseillais. D'ailleurs la retraite du roi était tout prétexte de résistance : elle annulait la proclamation de la loi martiale qui n'avait plus d'objet ; et, en supposant que ceux qui demeureraient au château tentassent de s'opposer au peuple , elle paralysait leur plus puissant moyen et rejetait sur eux la responsabilité de l'événement.
IL ne s'agissait plus que d'engager le roi à prendre ce parti. Le conseil était assemblé; on y déliberait , et l'on ne décidait rien. Rœderer entre d'un air effrayé, déclare que le danger est extrême, que la famille royale sera infailliblement égorgée, si elle ne se retire sur-le-champ à l'Assemblée ; encore un quart d'heure, il sera trop tard....
La reine s'élève avec force contre cette résolution désespérée ; elle la trouve déshonorante : tous gardent le silence.
« Quoi ! s'écrie la reine dans un moment de dépit, nous sommes seuls ! personne ne peut agir ?
— Oui, Madame , seuls , répond Rœderer : l'action est inutile, la résistance impossible.»
M. Gerderet, membre du département, ajoute quelques observations.
La reine l'interrompt brusquement : « Taisez-vous, Monsieur, vous êtes le seul qui n'ayez pas le droit de parler ici; quand on a fait le mal, on ne doit pas vouloir le réparer. »
M. Gerderet se tait. La reine s'étend de nouveau sur l'inconvenance de la démarche que l'on propose, en montre les inconvéniens. Le roi ne disait rien.
« Vous voulez donc Madame, reprend avec feu Rœderer, vous rendre coupable de la mort
du roi, de celle de vos deux enfans ! vous perdre vous-même, ainsi que toutes les personnes qui sont au château ! »
Cette dernière considération détermine Louis XVI. Assez ferme dans ses principes pour envisager la mort sans crainte, lorsqu'elle ne menace que lui, il était incapable d'en soutenir l'idée, lorsqu'elle semblait menacer la reine et ses enfans.
« Allons, s'écrie-t-il en élevant la main droite au ciel, marchons ; donnons encore, puisqu'il le faut, cette dernière marque de dévouement. »
La reine se laisse entraîner plutôt qu'elle ne consent : mais, s'oubliant elle-même, toutes ses craintes se portent sur le roi et sur monsieur le dauphin, elle ne voit qu'eux; et, s'adressant à Rœderer et aux membres du département, avec ce ton ferme et de dignité d'une reine à la fois épouse et mère :
« Monsieur Rœderer, Messieurs, vous répondez de la personne du roi, vous répondez de celle de mon fils ?
—Madame, réplique Rœderer, nous répondons de mourir à vos côtés, voilà tout ce que
nous pouvons garantir. »
Le roi sort du château, accompagné de la reine, de monsieur le dauphin, de madame Elisabeth, de madame Royale, des ministres et de quelques seigneurs.
Les grenadiers suisses et un fort détachement de la garde nationale lui servent d'escorte.
La terrasse des Feuillans était couverte d'une foule de peuple.
Les émissaires d'Orléans représentent qu'il ne faut pas permettre que le roi et la famille royale se réfugient à l'Assemblée. Le peuple refuse le passage. On est contraint de s'arrêter. C'est en vain que Rœderer cite la loi, la constitution, les décrets.
Des expressions menaçantes, des cris de vive la nation, point de veto, sont la seule réponse qu'il obtient.

Les obstacles se multiplient. La position du roi et de la famille royale devenait alarmante.
Un homme fend la foule, s'approche du roi et lui dit d'un ton brusque : « Donnez-moi
la main, soyez sûr que vous tenez la main d'un honnête homme, et non celle d'un assassin; je réponds, malgré vos torts, de la sûreté de vos jours: je vous accompagnerai jusqu'à l'Assemblée ; mais votre femme n'entrera point, c'est une gueuse qui a fait le malheur de la France. »
Le roi prend la main de cet homme , l'on continue d'avancer, et l'on parvient au perron.
Alors les cris se renouvellent, les menaces contre la reine recommencent.
« Point de femmes ! point de femmes ! répète-t-on de tous côtés, nous ne voulons que le roi, le roi seul! »
Rœderer représente qu'un décret de l'Assemblée appelle le roi et la famille royale dans son sein. Quelques députés confirment l'existence de ce décret.
Le peuple s'ouvre : le roi entre dans la salle : la reine, madame Elisabeth et madame Royale le suivent. Un grenadier porte dans ses bras monsieur le dauphin, il le pose sur le bureau.
Tous les députés gardent un profond silence.
Les intérêts et les passions diverses qui les agitent se taisent à la vue de Louis, naguère le plus puissant roi de l'Europe, chassé de son palais, venant mendier un asile à l'Assemblée.

Mémoires du marquis de Ferrières

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