dimanche 25 novembre 2007

La comtesse de Buffon au duc de Lauzun

Paris, ce 20 août 1792.

Je vous ai promis de vous donner de mes nouvelles, même de remplir trois ou quatres pages en votre faveur.
Comme voici le moment où chacun est plus scrupuleux de tenir ce qu'il promet, je vais commencer mon récit, et ne parlerai de vous, de moi et de nos amis communs qu'après vous avoir donné un extrait fidèle des différents évènements de la capitale.
Les chevaliers du poignard, faible soutien de Louis XVI, après avoir été les uns pris et enfermés, les autres tués, les autres se claquemurant pour se rendre introuvable, ont encore eut la douleur, de voir ou de savoir que l'on a mis leur gros chef au Temple, où il est avec sa femme, sa fille et le prince royal, plus Madame Elisabeth.
On entre dans la cour qu'avec une permission de M. Petion. Si nous connaissions de l'esprit au Roi, nous pourrions prendre son insouciance pour du courage. Il se promène dans son jardin, en calculant combien de pieds quarrsé en tel sens ou en tel autre ; il mange et boit bien, et joue au ballon avec son fils.
La reine est moins calme, dit-on ; elle n'a depuis hier aucune dame auprès d'elle. Mmes de Lamballe, Tarente, Sainte Aldegonde, Tourzel et encore deux autres dont je n'ai pu savoir le nom, ont été transférées à la Force.
Il y a, selon le relevé des sections de Paris, six mille cinq cents personnes de péris dans la journée du 10.
Le complot de la cour était atroce et gauche comme à l'ordinaire ; il faut avouer que nous avons une étoile préservatrice et qu'avec bien de l'argent, bien des ruses, bien des moyens, ils ont toujours si fort précipités leurs projets que le succès qu'ils attendaient a toujours été pour nous.Les plus enragés aristocrates sont furieux contre le Roi, de ce qu'ils se sont laissés couper le col pour lui, et que bravement il s'en est allé trouver les députés ; trop heureux que l'Assemblée ait bien voulu lui permettre de dormir et de manger au milieu d'elle.
On assure qu'il y a quatre mille personnes d'arrêtées et compromises plus ou moins dans cette malheureuse affaire.
On doit demain guillotiner au Carrousel. On affirme que MM de Poix et de Laporte seront les premiers. On cherche partout MM de Narbonne, Baumetz et du Chatelet ; ils sont dans Paris et c'est la crainte qu'eux et d'autres que l'on ne veut pas laisser aller, ne partent, que l'on ne délivre aucun passeport.Au milieu de ces arrestations, Paris est calme, pour ceux qui ne tripotent point.J'oubliais de vous dire que Mme d'Ossun est à l'Abbaye. Celles qui sont à la Force ne savent point pour combien de temps, et la ci-devant princesse de Lamballe est sans femme de chambre, elle se soigne elle-même ; pour une femme qui se trouve mal devant un oumard en peinture, c'est une rude position.
On ne voit pas une belle dame dans les rues ; je roule cependant avec mon cocher qui chatouille les lanternes de Paris avec son chapeau. J'ai été hier à l'Opéra ; les boyeurs étaient occupés de mon seul service ; j'avais le vestibule pour moi, et Roland mon domestique faisait promenade solitairement dans le couloir ; cependant la salle était pleine. Vous savez par les papiers les choses dont je ne vous parle pas. Vous avez sans doute su que Sulau a été expédié dans l'affaire du 10.On court après M. de Lafayette. Je ne sais s'il se défendra avec une partie de son armée, ou s'il sera ramené à Paris : voilà encore un évènement marquant, mais que j'ignore.
La fourberie de ce général prouvera en faveur du plus franc et des moins ambitieux des citoyens notre ami Philippe. (...)
Je me porte à merveille.
J'espère tout de cette crise pour le bonheur et la santé de mon ami. On n'en parle pas même en bien. C'est très heureux, il a je crois, une conduite parfaite, et j'espère qu'un jour on saura l'apprécier. Tous ses ingrats amis sont dans un moment de presse pénible ; il y en a bien quelques-uns qui ont eu la bassesse de chercher à se rattacher à lui. Nous sommes bien bon mais pas bête.
Charles Lameth est pour sûr arrêté à Barentin ; M. de Liancourt s'est sauvé par le Havre. Monseigneur a reçu votre lettre par laquelle vous nous apprenez que vous allez à Strasbourg.

Lettre de la comtesse de Buffon au duc de Lauzun.

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