mardi 27 novembre 2007

Le 10 août et la sortie du château, par la princesse de Tarente

Après le départ du Roi et de la Reine, je restai au château avec madame de la Roche-Aymon, sa fille, son fils, Pauline de Tourzel et quelques autres per­sonnes.
Dès que madame de Tourzel eut quitté sa fille pour suivre M. le Dauphin, je priai Pauline de me donner sa parole d'honneur de ne pas se séparer de moi. Je lui donnai aussi la mienne.
Je ne prévoyais pas alors de quel danger nous aurions à nous sauver ; je me réjouissais du départ du Roi ; je l'avoue, à la honte de mon jugement, je crus que cette démarche pourrait être de quelque utilité.
Le Roi sorti du château et allant se livrer à l'Assemblée, je voyais la paix faite et le danger éloigné ; je ne doutais pas qu'il ne revint bientôt. Je me retirai dans l'appar­tement de M. le Dauphin, pour voir le Roi traverser le jardin ; je les suivis des yeux tant que je pus, en formant mille vœux. Je fus ensuite dans la chambre du Roi, dans le cabinet, je revins dans la chambre ; j'errais toujours, car j'étais inquiète. Enfin, un officier de gendarmerie vint nous annoncer que le Roi, étant arrivé à l'escalier de la terrasse des Feuillants, après avoir été couché en joue de loin, dans le chemin, avait trouvé une si grande foule qu'il n'avait pu monter l'escalier.
« A bas le Roi ! A bas le Veto ! Point de femmes! » criait tout le peuple. Une députation vint chercher le Roi et permit à la Reine d'entrer.

Elle fut à la barre, le Roi à côté du prési­dent. Le Roi dit qu'il venait à l'Assemblée pour éviter au peuple un grand crime. L'Assemblée ne pouvant délibérer devant lui, il fut renvoyé a la barre, ensuite renfermé dans sa première prison, la loge du logographe.

Nous retournâmes dans l'appartement de M. le Dauphin, où nous nous fixâmes ; il y avait environ deux heures que le Roi était à l'Assemblée, et il n'était pas vraisemblable qu'il revint sitôt.
Je parlais de l'absence du Roi avec le duc de Choiseul, je m'en inquiétais et m'en tourmentais. Il me dit: «Je ne serais pas étonné qu'il ne revint pas avant huit heures du soir. »
Il dit cela du ton d'un inspiré ; il me mit en colère, et cependant je fus vivement frappée.

Dans la même seconde, je le fus un peu plus encore : j'entendis le premier coup de fusil ; toutes nos malheureuses têtes partirent. Où se réfugier ? Où se cacher ? Nous recommençâmes à errer dans les escaliers. Partout des coups de fusil, des coups de canon sifflaient à nos oreilles. J'ai vu mettre le feu à un canon dans la porte des Princes. J'étais dans la direction ; je me crus tuée.
Je ne quittais toujours pas ma Pauline. Enfin, je suppliai ces dames de se fixer dans un endroit quelconque ; je voyais toujours le canon ; nous choisîmes la chambre de la Reine. Un de ses gens vint nous dire qu'on s'embrassait dans la cour et qu'on faisait la paix ; mais dans le même instant, les fusils recommencèrent à tirer plus fort que jamais. Nous avions avec nous quinze femmes, dont la plupart étaient dans un état horrible. Je priai qu'on fit sortir les hommes, qui arrivaient de tous côtés dans notre retraite et qui n'étaient utiles à rien qu'à nous exposer davantage. Nous nous assîmes toutes contre les murs et nous attendîmes ce que le ciel voudrait faire pour nous. Moi, j'étais toute résignée et je croyais toucher à mon dernier moment.

L'appartement fut forcé ; nous nous éloignâmes d'une chambre et nous fumes dans le salon. Bientôt les coups de haches, de crosses de fusil, se f'ont entendre à la première porte.
J'envoyai un valet de pied de la Reine ouvrir toutes celles qui nous séparaient des brigands. A l'instant, la chambre en fut remplie. « Des armes et des Suisses ! » criaient-ils avec fureur.
Je m'étais retirée dans le fond de la chambre avec Pauline et madame Thibaut, femme de chambre de la Reine ; j'étais associée aux plus braves, et cependant nous tremblions jusqu'à mourir. Un homme, d'une figure atroce, s'écria: " Point de mal aux femmes ! Des armes et des Suisses !"
Je ne perds pas un instant ; je saisis cet homme par le bras, et je lui dis : « Voilà une jeune dame, une vieille et moi a qui vous allez donner tous vos soins cl vous resterez avec nous. »
Il me donna la main, cria : « Vive la Nation ! »
Nous fîmes un quatuor de bénédictions pour la Nation, dont trois parties n'étaient pas d'accord.
A côté de moi, un homme travaillait à charger son fusil ; il déchira sa cartouche ; je priai mon gardien de l'empêcher de tirer, en lui disant qu'ils étaient absolument maîtres de l'appartement et qu'ils pouvaient faire tout ce qu'ils voulaient.
II alla lui taper sur l'épaule : « Camarade, ne ne tire pas. »
L'autre cessa à l'instant ; toutes les dames partirent et je n'en revis aucune. Je pris le garde par un bras, Pauline par l'autre, je sortis du salon de la Reine. Dans la salle à manger, je vis un homme très bien mis casser la lanterne d'un grand coup de bâton ; la glace de la cheminée était en pous­sière. Sous la porte, je trouvai le corps de ce malheu­reux homme que j'avais envoyé pour ouvrir le passage aux brigands. C'était un des meilleurs sujets et des plus attachés à la Reine. Dans l'antichambre, il y avait deux de ces misérables qui mettaient en pièces à coups de sabre un habit de livrée. En fin je sortis de l'appartement, je descendis et je me trouvai dans le jardin.
Dans un espace de cent pas, je vis quatre ou cinq suisses étendus.

Arrivée sur le quai avec Pauline, notre brigand nous quitta. Tous les chemins me parurent si couverts de monde que je n'osais en choisir aucun. Enfin, j'aperçus un petit sentier de terre entre le mur du quai et la rivière. Je n'avais plus bien ma tête, et je ne pensais pas que, s'il n'y avait personne sur ce chemin, je ne serais pas moins vue de tous côtés.
Pauline consentit à le suivre ; nous descendîmes l'escalier, je rencontrai un canonnier ; je le priai de venir avec nous ; j'avais assez de peur moi seule avec Pauline. Je lui dis que nous sortions du château ; il nous promet assistance.
La moitié du chemin se passe bien, à l'exception que je m'avise de lui demander des nouvelles du Roi. Cette question lui parut fort suspecte. " Pourquoi demandez-vous des nouvelles du Roi ? Vous sortez du château, vous en savez mieux que moi !"
Je lui répondis que le Roi était à l'Assemblée depuis plus d'une heure et demi. Au milieu du chemin, il y avait une petite maison habitée par des bateliers. Ces deux femmes et ce canonnier leur parurent suspects. On se jette sur le canonnier, on le désarme. Un homme se met à genoux, arme son fusil, et à dix pas, pas plus, nous couche en joue.
Je n'ai jamais eu plus peur certainement.
On nous suivait par notre même chemin ; de dessus le quai, on criait après nous: " Il faut les tuer ! D'où viennent-elles. Ces mesdemoiselles se sauvent du château ! »
Les hommes avaient cinq ou six fusils braqués sur nous ; de l'autre côté de la rivière, on nous suivait aussi. Jamais on n'a été dans une si mauvaise et si inquiétante posi­tion. J'eus a peine le temps de me demander ce qu'il fallait faire ; heureusement on se mit a parlementer et nous fûmes sauvées.
Deux hommes s'emparèrent de Pauline ; elle allait devant moi ; je ne voulais pas la perdre de vue. Remontées sur le quai, nous fûmes rencontrées par une autre troupe.
— « Où allez-vous, camarades ?»
— « Ramener ces dames chez elles. »
Le canonnier prit la parole : « Elles sortent du château et celle-là m'a demandé des nouvelles du Roi ; il faut les mener au corps de garde de la porte Saint-Honoré. »

Nous voilà traversant la place Louis XV, par un soleil et une chaleur comme je n'en ai jamais senti. Tout le long de la place, nous vîmes des Suisses étendus sur le pavé ; les gens qui nous sui­vaient étaient couverts de sang. Je souffrais l'impos­sible.
Arrivées au bout de la place de la rue Royale, ces misérables, qui ne faisaient que tuer depuis deux heures, nous firent détourner de plusieurs pas pour nous faire passer derrière une batterie qui faisait face à la porte des Tuileries, dite de l'Orangerie, et dont les canons étaient chargés.
Tout le long de la rue Royale, nous vîmes des corps morts, Suisses et autres, des chevaux aussi. Le corps de garde, porte Saint-Honoré, était fermé ; il fallut traverser le boulevard ; tout le monde était armé d'une manière effrayante. Il y avait jusqu'à des broches de cuisine.
On portait aussi des petits morceaux de livrée du Roi, d'habits bleus au bout de longs bâtons. Paris faisait horreur. Enfin, nous arrivâmes rue Neuve-des-Capucins, à la section.
On fit une ou deux questions, et on nous dit que nous avions bien fait de sortir du château et qu'on nous conseillait de ne pas aller dans ce moment dans la rue. Un homme que je ne connaissais pas me proposa d'entrer chez lui. J'acceptai avec reconnaissance, et nous nous trouvâmes chez les meilleures gens du monde.
Ils étaient les commis des contributions publiques, et nous étions dans les bureaux de ce département. Nous eûmes là des nouvelles du Roi : l'Assemblée. avait prêté un nouveau serment devant Sa Majesté et le Roi n'y était pas nommé. On me laissa envoyer chez ma mère.
Pauvre Pauline ! elle n'avait pas la môme consolation.
A deux heures, ces messieurs nous ramenèrent chez moi ; nous fîmes le même chemin par la même chaleur. Je retrouvai ma mère ; ce n'était pas la dernière inquiétude que je devais lui donner.
J'envoyai tout de suite à l'Assemblée dire à madame de Tourzel que sa fille était chez moi. On vint, tout le jour, me donner beaucoup d'avis et m'engager à la prudence. Je n'osai pas même mener Pauline à madame de Leyde, comme nous en étions convenues.

Le soir, sa mère écrivit un billet par lequel elle ordonnait qu'elle y allât. Je l'y menai le lendemain matin, et le lundi, 13 août, elle était venue déjeuner chez moi, quand son frère vint la chercher pour la mener à l'Assemblée. Elle devait aller s'enfermer au Temple avec le Roi, et la Reine.
Je ne puis dire ce qui se passa alors en moi ; je n'eus le courage ni de partager sa joie, ni de lui dire adieu. Je restai abîmée de chagrin, n'osant ni l'envier, ni me plaindre, mais je sais que j'aurais donné la moitié de mon existence pour la suivre.
J'écrivis à la Reine ; je n'osai écrire : Adieu, mais mon cœur le prononçait et c'en était bien un.
Je restai chez ma grand'mère ; je ne pensais qu'à la Reine, aux moyens de la rejoindre, et il n'y en avait aucun à employer. Le lendemain du départ de Pauline, elle m'écrivit un petit billet. C'est la dernière fois que nous pûmes communiquer ; je ne sortais presque pas ; je me trouvais si extrêmement malheureuse que tout m'affligeait. Je voulais souffrir; chez moi, j'étais trop bien. J'avais des gens pour me servir et la Reine n'en avait plus. Elle était en prison, je voulais aussi y être ; on peut comprendre toutes les idées qui assiégeaient ma pauvre tête ; enfin, je n'avais plus une autre idée que la prison. Jamais on n'a souhaité si ardemment d'y aller.
Le samedi soir, j'allai voir la duchesse de Choiseul ; nous ne parlâmes que de la Reine ; elle chercha à me faire entendre raison sur ce qu'elle appelait ma folie, elle me disait: « De quelle utilité cela sera-t-il pour elle? Si elle le sait, elle aura un chagrin de plus. »
J'entendais cela, mais je voulais aller en prison.
Je retournai chez moi, et je n'y demeurai pas longtemps libre.

Souvenirs de la princesse de Tarente. 1789-1792

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